Carême disait que c’est » l’âme des ménages ».
Tlfi : Mets chaud composé de viande et de légumes bouillis à la marmite.
Éloge de la lenteur et symbole d’une cuisine familiale typiquement française, ce plat pluricentenaire est aujourd’hui devenu la coqueluche de la haute cuisine.
Photo pot au feu 1
Le pot-au-feu est un plat emblématique de la cuisine française. Goethe l’avait bien compris lorsqu’il relate dans Campagne de France sa découverte du mets chez un villageois lorrain en octobre 1792 : « Pour la première fois je pus observer là exactement le pot-au-feu national. Une grande marmite de fer était suspendue à un crochet, qu’on pouvait élever et abaisser au moyen d’une crémaillère ; dans la marmite se trouvait déjà une bonne pièce de boeuf avec l’eau et le sel. On y ajouta des carottes, des navets, des poireaux, des choux et d’autres légumes ». Lorsque le plat est cuit, on installe une grande écuelle de terre avec de petites tranches de pain blanc. On y verse le bouillon chaud. La viande et les légumes sont ensuite servis, « et toute personne aurait pu se contenter de cette simple cuisine », s’exclame le dramaturge. À la même époque, Michel-Honoré Bounieu peint le tableau, Les Apprêts du pot-au-feu . C’est dire l’importance du plat dans la culture culinaire du pays.
Le pot-au-feu évoque à la fois le contenant et l’action, c’est-à-dire le pot et le fait de le mettre au feu pour cuire des aliments. Au Moyen Âge, tout ce qui cuisait dans un pot était un potage. Le terme avait un sens plus large que celui d’aujourd’hui et pouvait désigner des compositions de légumes et de viandes, telles que le chapon aux herbes ou le civet de lièvre.
Excellence à la française
Ce n’est que très progressivement que le pot-au-feu devient le contenu du pot, c’est-à-dire la préparation culinaire. Pour Brillat-Savarin, auteur de la Physiologie du goût (1826), « on appelle pot-au-feu un morceau de boeuf destiné à être traité à l’eau bouillante légèrement salée […]. Le bouillon est le liquide qui reste après l’opération consommée. » Le bouilli est « la chair dépouillée de sa partie soluble ». La question du bouillon est ici importante, sa cuisson devant se faire à petite ébullition afin qu’il conserve toute sa limpidité. Dans son Grand Dictionnaire de cuisine (1873), Alexandre Dumas rappelle qu’« il n’y a pas de bonne cuisine sans bon bouillon ; la cuisine française […] doit sa supériorité à l’excellence du bouillon français ; cette excellence résulte d’une espèce d’intuition donnée je ne dirai pas à nos cuisinières, mais à nos femmes du peuple ». Le pot-au-feu est perçu comme un plat porteur de valeurs familiales. Et il est révélateur que paraisse, entre 1893 et 1956, un « journal de cuisine pratique et d’économie domestique » qui s’intitule Le Pot-au-feu .
Deux écoles s’affrontent sur le démarrage de la cuisson. Doit-on mettre la viande dans l’eau froide ou chaude ? La réponse dépend de ce que l’on souhaite. Dans le premier cas on privilégie le bouillon, la cuisson se faisant par expansion : les sucs du morceau de boeuf se dissolvent progressivement dans le bouillon en formation, procédant ainsi à un échange de saveurs avec sa garniture aromatique. Pour Brillat-Savarin c’est là le phénomène de l’« osmazôme », de « cette partie éminemment sapide des viandes qui est soluble à l’eau froide ».
Dans le second cas, la chair est plongée dans l’eau bouillante, les sucs restent à l’intérieur du morceau de boeuf. C’est la cuisson par concentration. Cette méthode est « souvent pratiquée en cuisine ménagère », affirme Mme Saint-Ange dans La Bonne Cuisine (1927). Elle procure « un boeuf bouilli plus juteux », mais la « saveur du bouillon s’en ressent ». De leur côté, les chefs blanchissent la viande en la portant rapidement à ébullition pour ensuite la nettoyer avant de commencer la cuisson à l’eau froide. Et aujourd’hui encore, le sujet est souvent un objet de débat lorsqu’on aborde la recette du pot-au-feu.
UNE RECETTE RÉINVENTÉE
Avec la « nouvelle cuisine » des dernières décennies du XXe siècle, le pot-au-feu stimule la créativité des chefs. À l’exemple de Michel Guérard, qui rencontra le succès au milieu des années 1960 dans un bistrot à Asnières. Son « pot-au-feu de viande en fondue » consiste en cubes de noix de veau, de filet de boeuf et de gigot d’agneau que les convives pochent eux-mêmes dans le bouillon chaud placé au milieu de la table. Celui au foie gras de canard est servi escalopé sur une « litière de feuilles de chou », avec des nouilles plates, des petits légumes et une sauce aux truffes. D’autres recettes se font avec des langues de boeuf et de veau ou avec du poisson et des coquillages. Alain Chapel, qui tenait un restaurant réputé à Mionnay, non loin de Lyon, dans les années 1970-1980 proposait un « pot-au-feu de pigeons ramiers à l’anis étoilé et raviolis d’herbes ». Les volatiles sont cuits dans un bouillon et les raviolis garnis d’« herbes à soupe » et de farce de canard. Éric Fréchon, chef du Bristol à Paris, présente un « pot-au-feu revisité en trois services ». D’abord une « royale de moelle et de céleri », puis un « pot-au-feu de queue de boeuf », où viande et légumes sont superposés en lamelles, enfin un « bouillon de boeuf infusé au shiitaké [un champignon japonais] et cébettes en montgolfière » : la montgolfière étant le feuilletage qui couvre le bol contenant le bouillon. Ainsi, le rustique pot-au-feu est devenu un plat de la haute gastronomie. (Historia 2016 )