Matière obtenue par traitement thermique de tissus animaux, et, plus spécifiquement, matière protéique formée par dégradation du tissu collagénique. Les molécules de gélatine forment un réseau qui piège les solutions aqueuses, et produit donc des gelées.
A noter qu’il n’existe pas de « gélatine végétale », puisque la gélatine n’est produite que par les animaux. L’expression « gélatine végétale », erronée ou fautive, doit absolument être remplacé par « gélifiant d’origine végétale ».
Gélatine et agents gélifiants ; pas de gélatine végétale !
par H. This, vo Kientza
Un ami chef me parle d’un problème qu’il rencontre alors qu’il produit des gelées… mais je comprends, en l’interrogeant, que son usage des mots le conduit à l’erreur technique : il utilise notamment le terme fautif de « gélatine végétale »… et, de ce fait, utilise comme de la gélatine un agent gélifiant qui n’est pas de la gélatine ; c’est comme vouloir émincer des échalotes en tenant un couteau par la lame.
Au fond, je fais un peu la fine bouche en critiquant mon ami, car la popularisation de l’expression « gélatine végétale » est une sorte de couronnement de mes travaux. En effet, de même que l’usage du gaz ne s’est imposé, en remplacement du charbon, quand on n’a plus eu besoin d’apposer sur les maisons l’indication « gaz à tous les étages », la cuisine moléculaire a gagné, puisqu’il y a partout, dans les cuisines, des siphons, de la basse température, et ces mêmes gélifiants, ou agents gélifiants, dont on m’accusait de vouloir empoisonner le monde avec. Ces derniers, notamment, sont vendus jusque dans les supermarchés ; ils sont si populaires que l’on en vient à les confondre avec la gélatine, qu’on les dénomme fautivement du nom de cette dernière, dont on oublie aussi qu’elle fut un jour moderne. Expliquons plus en détail.
Un peu d’histoire
Jusque dans les années 1970, on faisait les aspics ou les bavarois à partir de pieds de veau. Il fallait cuire longuement les pieds dans de l’eau chaude, puis filtrer, clarifier, etc. C’était un procédé bien long, qui suscita bientôt la création d’usines qui se mirent à extraire et vendre de la gélatine : en feuilles ou en poudre.
La gélatine ? C’est la matière gélifiante du pied de veau et d’autres tissus animaux (peaux, tendons, cartilage… ; de porc, de veau, de poule…) , de sorte que l’on n’avait plus qu’à utiliser des feuilles ou de la poudre pour obtenir, en quelques secondes, le résultat qu’on mettait auparavant des heures à atteindre.
Puis, dans les années 1980, alors que des amis chefs me disaient encore que les gélées faites à la gélatine avaient un goût (mais j’ai des preuves que ce n’était pas vrai), j’ai vu qu’il existait de nombreux autres gélifiants, d’origine végétale ceux-là : carraghénanes, alginates, agar-agar, gommes de guar, de caroube, etc. Chacun a des caractéristiques techniques particulières : au choix, on pouvait faire des gels clairs, transparents, opaques, cassants, élastiques, mous…
Bref, il me semblait que le cuisinier pouvait trouver plus de notes sur son piano qu’il y en a dans un triangle, et c’est ainsi que je me suis retrouvé un jour à aller proposer à une des principales associations de cuisiniers français d’utiliser ces produits. L’accueil fut amical, et la réponse fut négative. J’étais naïf et désolé, car, alors que je n’avais rien à vendre, que je pensais aux progrès de la profession, cette dernière me refusait mes propositions, se fermant à l’innovation, restant arquée sur une tradition dont on oublie qu’elle n’est en réalité qu’une synthèse des innovations du passé.
Ajoutons que ma proposition d’employer ces produits était une partie de ma volonté de rénover les techniques culinaires, ce que j’ai nommé « cuisine moléculaire ». Oui, la cuisine moléculaire voulait seulement (OK, ce n’est pas rien) rénover les techniques culinaires, avec l’hypothèse supplémentaire que l’on fait mieux ce que l’on comprend !
Finalement, j’ai parfaitement réussi mon coup, et la cuisine moléculaire s’est merveilleusement développée, comme une application de cette discipline scientifique, branche de la physico-chimie, qu’est la gastronomie moléculaire (je répète qu’il y a une différence essentielle entre les deux : la science et la technique ne se confondent pas, et il faut être bien aveugle -volontairement ?- pour ne pas comprendre la différence).
Parlons de gélifiants d’origine végétale
Aujourd’hui, on parle donc de « gélatine végétale », et je devrais en être content, mais l’expression me choque parce qu’elle est fautive, et que cette erreur terminologique engendre des déboires techniques.
Faisant l’hypothèse qu’un bon technicien mérite de comprendre les outils qu’il emploie, et que les noms de ces outils sont importants au même titre que leurs caractéristiques, je veux expliquer pourquoi il faut parler de gélifiant végétal, et non de gélatine végétale (une gélatine végétale, cela n’existe pas !).
La gélatine n’est pas végétale : c’est une matière extraite des tissus animaux, faite de protéines de collagène, modifiées à des degrés divers par la cuisson qui les extrait des tissus animaux.
La gélatine est un agent gélifiant, ce qui signifie qu’elle permet de faire gélifier des solutions aqueuses, afin d’obtenir ce que l’on nomme des gels. La gélatine est de nature protéique, animale, et elle a des caractéristiques particulières, que les cuisiniers connaissent bien, et au nombre desquelles on compte sa capacité à fondre à une température voisine de celle de la bouche, ce qui permet d’obtenir des gels fondants, par conséquent.
Les autres gélifiants (ou agents gélifiants) ne sont pas tous des protéines. Par exemple, l’amidon, la fécule, faits de composés des catégories nommées amyloses et amylopectines, permettent de produire des gels que l’on nomme en l’occurrence des empois. Et, comme je le disais, il y a bien d’autres agents gélifiants que l’on peut extraire des plantes ou des algues. Souvent, ces composés sont des polysaccharides, de la même famille que l’amidon, et pas des protéines. Ce ne sont donc pas des gélatines. Et voilà pourquoi il est fautif de parler de protéines végétales.
De surcroît, il faut que je signale que je viens de voir de ces sites qui vendent ces produits mal nommés : j’y ai vu qu’une des matières proposées sous ce nom fautif est en réalité faite de deux composés, et non pas d’un seul. Je n’ai rien à redire à ce mélange, surtout si cela donne des propriétés qu’un seul des deux composés n’aurait pas eu, mais il y a lieu d’être prudent et vigilant avec le commerce, qui est parfois déloyal, soit par ignorance soit par volonté : un mélange de composés n’est pas un gélifiant, mais un mélange de gélifiants. En l’occurrence, j’ai vu que les deux composés du mélangé à la désignation fautive étaient d’origine végétale, de sorte qu’on n’a pas à critiquer ce terme sauf à dire qu’il est un peu ambigu, car les produits sont plutôt « issus de végétaux », que « végétaux » eux-mêmes.
Est-ce ratiociner exagérément ? Je ne le crois pas, car il en va d’abord de la loyauté, de l’honnêteté. D’autre part, la discussion que nous faisons ici est en réalité une manière d’aider mes amis à choisir les outils dont ils feront usage. Il faut surtout dire que le mode d’emploi d’un gélifiant d’origine végétale, fait d’un ou de plusieurs composés, n’est pas du tout celui de la gélatine, et que l’on ferait une erreur en le mettant en œuvre de la même façon. Il y a un mode d’emploi, particulier, pas difficile, mais particulier.
Et c’est ainsi qu’avec des gélifiants variés, bien compris, bien utilisés, la cuisine sera encore plus belle !